MÉMOIRE DU PAYSAGE [25]

11/09 18/10/2025 > Martigny, CH.
Laurence Piaget-Dubuis, Mémoire du paysage, Œuvre dont l’état présent laisse deviner les traces de versions antérieures. Médiathèque, espace de l’objectif, Martigny, VS, CH
Vernissage: Jeudi 11 septembre 2025, à 18h
Exposition: entrée libre. Lun au sam, 13:00-18:00 et Jeudi, 10:00-18:00

Exposition qui propose un dialogue fragmenté, à plusieurs voix : celle de deux femmes — toutes deux photographes, séparées par plus de trente ans d’absence.
Cet échange transgénérationnel entre images et mots ouvre un espace vertical, entre ce qui a été tu, enfoui, et ce qui, peu à peu, refait surface. Les photographies deviennent des indicatrices — balises dans la neige gelée de la mémoire.
En 2017, à la mort de sa mère, Laurence Piaget-Dubuis reçoit trois caisses de documents et de photographies. De ces archives surgit une lecture d’images en miroir avec le paysage alpin qu’elle arpente depuis l’enfance. Une autofiction portée par les creux et les pleins de l’histoire, personnelle autant que collective.
À la manière d’un palimpseste, les couches de mémoire réapparaissent peu à peu — visages oubliés, lieux familiers, souvenirs diffus, un récit: mouvant, discontinu, érodé par le temps comme une moraine qui se lit dans le paysage.

Je ne connais presque rien de mon histoire, je n’ai que des fragments, des bouts de réel, des reliques sacrées. — Laurence

Chroniques d’autofiction, constituées de fragments d’archives arrachés au vide : photos, lettres, scènes familiales, comptes de funérailles, glaciers qui reculent.
Chaque parcelle de mémoire devient un vecteur de perception d’une constellation familiale éclatée, dispersée par les secrets et la mort. En les reliant, l’autrice lit une histoire fantôme comme une moraine, vestige des glaces disparues. Dans cette esthétique du discontinu, le contraste entre intime et administratif, poétique et comptable, souvenir et silence, dit la vérité de l’absence. Entre enquête généalogique et méditation alpine, ce récit fait dialoguer mémoire familiale et mémoire climatique. Une cartographie mémorielle où se rejouent, de génération en génération, le poids des secrets, aussi lourds qu’une stèle en marbre, et la nécessité de transmettre.
Écrire, c’est danser entre trois forces contraires : le désir d’oubli, le poids du doute et le courage du souvenir. C’est faire de l’absence une famille, du silence une encyclopédie, de l’éclat un monolithe.

Crédit: Denise Lingelser

Comment identifier les formes anciennes, qui, comme un palimpseste, constituent les strates persistantes du présent ? Un récit d’enquête transgénérationnelle retrace l’histoire de Laurence Piaget-Dubuis (Lingelser !), éco-artiste et photographe, auteure de projets sur les enjeux du dérèglement climatique en territoire alpestre.
Point de bascule de cette rencontre entre un territoire méconnu et les fragments dispersés du passé : la connaissance tardive (2017) des origines d’une mère alsacienne, elle-même photographe. Trois caisses en plastique remplies de documents et de photographies lui sont remises à son décès, alors même qu’elle en refuse l’héritage — le lien mère-fille ayant disparu depuis plus de trente ans. Il a fallu très peu de choses pour que s’envolent avec les cendres de la défunte, les contours d’une identité inscrite dans le creux de l’histoire et les lacunes des mémoires.

Le déflorement des caisses livre les premières photos de glaciers de l’artiste, prises avec un Kodak Instamatic alors qu’elle n’a que huit ans, les traces de ses pas dans la neige lors de plusieurs randonnées dans les Alpes avec sa « deuxième maman », le glacier du Rhône avec des marmottes jadis encagées, une mystérieuse photographie de monolithe et de nombreux paysages alpins qu’elle identifie immédiatement… Pyramides d’Euseigne, Col de la Forclaz, Anzère, Zermatt, Arolla, Morgins, Chamonix, etc., que l’artiste arpente sans cesse avec son reflex.
La lecture du paysage s’avère plus familière que les visages anonymes, alignements bigarrés de têtes sans paroles, ni actes, qui portent l’énigme jusqu’aux frontières suisses. L’identification d’une pierre tombale dans le cimetière communal du village d’Illfurth (France) — l’Alsace est alors annexée par l’Allemagne nazie en 1940 — la conduit à partager un gâteau de chocolat blanc servi à l’aide d’une spatule à pâtisserie en forme de patte de chevreuil, pour célébrer une réconciliation. « Mon père avait les mains noires…, la guerre est finie…, il passait les montres dans ses poches… ». Les petites photographies argentiques aux bords dentelés et au format carré révèlent le verso noir et blanc d’une histoire dont personne n’a parlé.

Crédit: Edouard Lingelser?

Aujourd’hui, alors qu’une menace plus moderne pèse sur l’avenir mondial de l’humanité, les descendants n’ont plus d’espoir dans les promesses consuméristes des trente glorieuses d’après-guerre ; ils ne font plus d’enfants et aspirent à des valeurs écologiques… Les paysages, le tourisme, l’économie et la stabilité suisses sont menacés par l’élévation des températures qui modifient le paysage et le partage des ressources. Le pays devra se préparer à renouveler sa tradition d’accueil pour faire face aux vagues de réfugiés climatiques qui s’annoncent partout sur la planète.

Crédit: Laurence Piaget-Dubuis, fin des année 1970

Est-il possible pour une photographe de lire et de comprendre son histoire et la grande histoire en miroir, dans de vieilles images ? Retrouver le passé, pour comprendre le présent et préparer l’avenir… Trouver le recul nécessaire de l’hors-champ lorsque l’on est soi-même le sujet, un sujet sans mémoire ? Renouer les liens et transmettre un patrimoine à celles et ceux qui nous succéderont ?
Comme le retrait des glaces façonne des moraines dans le paysage pour des millénaires, l’auteure esquisse une forme de paysage familial, les traces d’un héritage du temps passé qui perdure sur plusieurs générations. A-t-elle mis au jour les secrets et brisé le script qui tourne en boucle et se conclut par une fuite dans les montagnes ?

Crédit: Christian Dubuis?

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