AGONIE D’UN GLACIER

Le brouillard filtre la lumière tel un calque, plonge le paysage dans une atmosphère qui oscille entre opacité et transparence, entre beauté et laideur.

Agonie d’un glacier / Agony of a glacier, Laurence Piaget-Dubuis, prise de vues 2014

AHURISSANTE VISION OU SE TÉLESCOPENT: UN AILLEURS DÉVASTE par un cataclysme, UN CAMP DE RÉFUGIÉS parsemé de tentes blanches déchirées abritant des survivants imaginaires, DES COUVERTURES AGRICOLES qui sous le vent se transforment en fantômes articulés, UNE ŒUVRE ARTISTIQUE gigantesque emballée de draps unis par Christo, ou encore UN FEUILLETÉ DE MORTS enveloppés de linceuls clairs.

Laurence Piaget-Dubuis
Laurence Piaget-Dubuis, Agonie d’un glacier, glacier du Rhône, Gletsch, VS, CH, 2014
Laurence Piaget-Dubuis, Agonie d’un glacier, glacier du Rhône, Gletsch, VS, CH, 2014

D’ÉTERNEL À PÉRISSABLE

Lorsqu’un être vivant s’éteint et que sa mort approche, sa température corporelle baisse et son corps se refroidit. La bonne santé du climat terrestre est également basée sur les températures. Son bouleversement a des effets sur les disparitions et apparitions des écosystèmes. Témoins et bibliothèques d’un mouvement perpétuel du cycle de l’eau et d’une époque passée, les glaciers alpins sont condamnés. Les colosses disparaissent, par augmentation des températures et dérèglement du système d’équilibre entre accumulation et ablation des neiges éternelles. La chaleur varie trop rapidement, les précipitations baissent et les glaciers fondent comme des malades discrets qui reculent et diminuent sans bruit, contaminés par la fièvre consommatrice humaine. La disparition totale de la plupart des glaciers au-dessous de 3 500 mètres est programmée d’ici la fin de ce siècle. Avec eux, s’éteint leur fonction de réservoirs d’eau: le château d’eau de l’Europe.

Laurence Piaget-Dubuis, Agonie d’un glacier, glacier du Rhône, Gletsch, VS, CH, 2014
Laurence Piaget-Dubuis, Agonie d’un glacier, glacier du Rhône, Gletsch, VS, CH, 2014

DE VISIBLE ET D’INVISIBLE

Conserver les dépouilles mortelles est une préoccupation des vivants. Les hommes ont toujours couvert les corps des morts de linceuls ou de bandelettes avant de les introduire dans l’oubli. Le glacier est un géant qui gît dans l’agonie; corps mis à nu, couché sur son lit que l’on habille de voiles, d’étoffes tendues, plissées et grossièrement cousues ensemble pour masquer sa surface. Les draps mortuaires sont les restes d’une vie passée, d’une enveloppe de peau qui refuse de trépasser. Cacher, c’est révéler. L’usage de draps sur le glacier matérialise et unit deux espaces: un devant visible et un dessous invisible. Couvrir le glacier par des amas de tissus dévoile une fragilité et masque une réalité. On s’attaque à cacher les conséquences, plus qu’à gérer les causes.

Laurence Piaget-Dubuis, Agonie d’un glacier, glacier du Rhône, Gletsch, VS, CH, 2014

D’OMBRES ET DE LUMIÈRES

Depuis l’Antiquité, le drapé est un composant incontournable dans l’histoire de l’art. Il met l’accent sur des formes, en masque, en simplifie d’autres, représente le mouvement ou la suggestion des volumes par la fluidité et les plis. Le drapé crée des reliefs et des creux comme un paysage de vallées et de montagnes. La lumière s’accroche sur le tissu et donne un monde de nuances, d’ombres et d’effets en interaction avec l’air et la lumière. Les couleurs diluées sont réduites à des déclinaisons de blancs, terres et gris. Ce qui est dans les creux est sombre, et ce qui est en relief est plus clair, le passage de l’un à l’autre se faisant en dégradés de gris. Le brouillard filtre la lumière tel un calque, plonge le paysage dans une atmosphère qui oscille entre opacité et transparence, entre beauté et laideur.

Laurence Piaget-Dubuis, Agonie d’un glacier, glacier du Rhône, Gletsch, VS, CH, 2014

LA BATAILLE DE LA GLACE «Chaque été depuis 1870, les exploitants de la grotte de glace située à côté de l’hôtel Belvédère au col de la Furka (VS) percent un tunnel dans le glacier du Rhône. La galerie aux parois bleues a déjà attiré des centaines de milliers de visiteurs. L’équipe protège la glace à l’aide d’une bâche réfléchissante, ce qui ralentit certes un peu la fonte, mais le glacier ne cesse de reculer et de s’affiner. Des mesures indiquent qu’il perd chaque année entre six et huit mètres d’épaisseur. Dans cinq ou six ans la langue glaciaire ne sera plus assez résistante pour y creuser une grotte».

Texte extrait du Magazine «Environnement» 4/2014 – Quel climat demain?, Office fédéral de l’environnement.

Voir et revoir

ON EN PARLE
Portrait de Laurence Piaget-Dubuis, ➔ SMArt: Laurence Piaget-Dubuis
Portrait de Laurence Piaget-Dubuis dans le programme SMArt: ➔ Laurence Piaget-Dubuis: SMArt
Programme SMArt: ➔ Sustainable Mountain Art, Sion, Suisse
Publication de la confédération Suisse avec les images du projet ➔ «Culture et créativité pour le développement durable – Bonnes pratiques pour les collectivités publiques»

6 photographies de cette série illustrent la publication de la confédération suisse, Culture et créativité pour le développement durable – Bonnes pratiques pour les collectivités publiques, 2017

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