ADAPTABILIS

Une planète habitable pour le vivant

Adaptabilis, Laurence Piaget-Dubuis et Hervé Savioz (duo), installation photographique, L’îlot-S, CAUE de Haute-Savoie, Annecy, F.

Introduction

L’exposition Adaptabilis de l’éco-artiste Laurence Piaget-Dubuis et de l’architecte-urbaniste Hervé Savioz convie à se questionner sur l’habitabilité des territoires face aux enjeux climatiques et au recul des glaciers. À travers une installation photographique immersive, ce duo suisse sensible à l’environnement alpin, ouvre les négociations pour s’adapter, s’ajuster, s’accorder sur de nouveaux rapports de cohabitation entre le vivant humain et non humain et co-écrire les récits d’un futur partagé.

Laurence Piaget-Dubuis et Hervé Savioz



Marqueurs visibles du dérèglement climatique, les glaciers alpins et leurs cours d’eau sont des acteurs du territoire et du paysage. Ces géants de glace représentent la principale source d’eau douce de la planète indispensable à la vie sur Terre. Leur disparition inexorable révèle la pression que nous faisons subir aux écosystèmes. Des signaux manifestes de rupture entre de fragiles équilibres alertent sans relâche sur la nécessité d’agir et demandent qu’on y porte toute notre attention.

Adaptabilis invite à explorer de nouveaux scénarios, en posant au centre de la table les négociations à mener sur le partage des ressources naturelles et l’équilibre dynamique des écosystèmes dans des espaces limités et menacés. Les conséquences en cascade liées à l’augmentation des températures invitent à mobiliser nos imaginaires, pour créer d’autres systèmes de pensée et de gouvernance et les mettre en œuvre par des actions concrètes.

L’humanité entre dans une phase transitoire où pour atteindre la résilience, elle développe des facultés d’adaptation et de transformation. Il s’agit désormais de doter l’être humain d’un rapport avec l’environnement plus équilibré et harmonieux, de s’accorder sur des valeurs collectives et de constituer des modèles qui ouvrent des portes à un futur souhaitable. Réhabiliter la nature au cœur de nos vies et de nos villes, protéger les biens communs et rendre la planète plus habitable et soutenable pour les générations à venir, nécessitent l’engagement de chacun·e.

« Disparaît, ce qui aux changements ne s’adapte. »

Laurence Piaget-Dubuis

L’exposition Adaptabilis questionne l’avenir d’une société conviviale et d’un environnement résilient sans donner de mode d’emploi ou de recette préconçue permettant de dire comment s’adapter. L’intelligence et l’action individuelle, collective et politique, conjuguées et multipliées, sont les réponses qui comptent pour limiter notre impact sur l’environnement et pour écrire un futur plus responsable et durable.

Le rapport qu’entretient la population avec le paysage et les glaciers (deux éléments caractéristiques de la Haute-Savoie) nous offre une porte d’entrée tangible pour aborder le dérèglement climatique et les défis sociaux et environnementaux actuels et à venir.

Les 7 alcôves

Les sept alcôves qui composent l’installation illustrent la répartition des territoires terrestres et la nécessaire diminution de la consommation des ressources pour atteindre un nouvel équilibre. Ces espaces deviennent supports de photographies couleur et noir et blanc qui questionnent l’habitabilité et l’inhabitabilité du territoire alpin.

Très répandu dans la nature, le cercle a une signification universelle. Il est l’une des premières formes tracées par les humains. Il n’a ni commencement ni fin et symbolise l’éternité, les cycles de vie, la perfection ou encore l’infini. À l’intérieur de l’espace circulaire de l’installation, une spirale croît d’une alcôve à l’autre. Sur le sol comme sur les parois, la couleur rouge se superpose aux images évoquant l’élévation des températures et les rapports de force qui mettent en péril le fragile équilibre du cercle parfait.

Les images nous parlent de nous et du rapport que nous entretenons avec l’environnement. Un dialogue s’installe entre les opposés et les extrêmes, évoquant des notions comme l’abondance, la limite, la disparition, l’absence ou le souvenir. Tout comme il existe une multitude de variations de gris entre le noir et le blanc, il existe une multitude de nuances entre ces couples de mots antagonistes, qui invitent chacun·e à trouver son équilibre entre la possibilité d’agir, parfois la nécessité de changer et s’adapter. La déambulation au travers des sept alcôves offre une expérience entre passé et futur, pour se questionner sur le présent.

Laurence Piaget-Dubuis et Hervé Savioz
Les 7 alcôves
1. Vivant humain / Non humain
2. Sauvage / Maîtrisé
3. Équilibré / Déséquilibré
4. Limité / Illimité
5. Commun / Individuel
6. Habitable / Inhabitable
7. Terrestre / Extraterrestre
Table des négociations

Vivant humain — Non humain

La Terre, seule planète habitable connue, grand vaisseau spatial qui navigue dans le cosmos, est le support d’une multitude
de formes de vies. Humains et non-humains cohabitent dans l’atmosphère terrestre depuis des millénaires. Parmi les plantes, les bactéries, les champignons, les archées et les protistes, le règne animal dont fait partie le genre humain représente une infime partie du vivant.
Le vivant est en danger, pris en étau entre domination et asservissement. Les écosystèmes et espèces subissent une pression insoutenable. Compression des territoires, raréfaction des espaces naturels, modification des lieux de vie et disparition des biotopes engendrent disparités et inégalités et entraînent l’extinction du vivant. Il est nécessaire de requestionner le rapport que nous entretenons avec les autres espèces et développer un rapport plus équitable avec l’environnement et les autres formes de vie. À l’image de la graine qui contient en elle toute la mémoire du passé et l’espoir d’un futur, semons aujourd’hui ce que nous voulons récolter demain.

Sauvage — Maîtrisé

Laurence Piaget-Dubuis

La science et la technologie ont permis une évolution rapide de l’humanité depuis son apparition sur Terre quelques siècles seulement avant notre ère. Douée de la capacité de communiquer et de s’organiser en groupe, l’humanité a réussi à atteindre un haut niveau de civilisation, en comparaison avec les autres formes de vie sur Terre. Le développement de l’énergie hydraulique est un bel exemple de cette ingéniosité et du savoir- faire que nous avons acquis.
Notre capacité à transformer, fabriquer, dominer, domestiquer et maîtriser notre environnement immédiat démontre notre puissance et notre pouvoir sur les éléments qui nous entourent. Ce progrès sans égal génère son lot d’aspects négatifs et d’effets pervers. Notre obstination sans limite pour le contrôle a généré une déconnexion avec la nature et une forte anthropisation de la Terre. L’assujettissement des autres formes de vie que nous avons mises à notre service et les éléments naturels que nous considérons comme ressources laissent des traces indélébiles sur Terre. L’humanité imprime sa trace partout sur la planète. Les espaces sauvages ou vierges d’impact humain sur Terre se font rares.
N’est-il pas temps de se reconnecter à la Terre? Plonger nos mains dans la terre qui nous offre généreusement nourriture et subsistance? Sauvons ce qu’il reste en protégeant les espaces qui peuvent encore l’être, en préservant les habitats d’autres vivants non-humains, et en sanctuarisant, en instaurant des zones de protection, afin de préserver le sauvage qui se réduit à vitesse exponentielle.

Équilibré — Déséquilibré

Juste proportion entre des éléments opposés, entre des forces antagonistes, l’équilibre représente un état de stabilité voire d’harmonie. Les écosystèmes sont en perpétuel changement et évolution. Ils incarnent l’équilibre en mouvement. Le vivant s’adapte en permanence et la matière est en constante fabrication et dégradation. Nous vivons dans un monde en mutation dans lequel se définissent de nouveaux équilibres dynamiques.
L’équilibre fragile de nos systèmes et écosystèmes a atteint un point de bascule. La chute de la biodiversité cause des changements d’état irréversibles aux écosystèmes qui perdent leur capacité d’adaptation. Ces déséquilibres en accélération constante, suivent une courbe exponentielle présageant de lourdes conséquences en cascade.
Adaptabilis explore les liens de causalité entre les activités humaines et le dérèglement climatique. L’adaptabilité est la capacité du vivant à s’adapter à de nouveaux milieux ou à de nouvelles situations, à trouver un nouvel équilibre face à un contexte changeant, mouvant, instable. L’adaptation au changement, thème majeur de cette installation, doit mobiliser individuellement et à la fois collectivement, de façons multiples et conjuguées, pour inventer de nouveaux modèles. Face à l’urgence climatique, à chacun de trouver son équilibre.

Limité — Illimité

L’hubris désigne chez les Grecs la démesure, l’orgueil, traits que les dieux condamnent chez les humains. Dans ses aspirations à l’infini et sa confrontation avec l’altérité, l’humain prend conscience de sa finitude imposée par la mort, qu’il tente sans cesse de transgresser. Le dépassement de soi et l’exploration des limites poussent à la conquête des extrêmes et d’une nature sauvage et préservée. Les horizons infinis et les vastes espaces vierges nous fascinent, nous attirent et nous confrontent à notre rapport originel : se sentir tout petit dans l’immensité.
Face à l’hubris, les Grecs lui opposaient la tempérance, ou modération. Dans un monde fini aux ressources finies, le paradigme d’une croissance infinie n’est plus soutenable. L’humanité est sans cesse et de plus en plus confrontée à la réduction des espaces habitables (réduction des espaces de vie, des écosystèmes, des terres cultivables, etc.). Adaptabilis nous confronte à la réalité d’une Terre aux dimensions limitées, pour réinventer nos modèles de consommation effrénée qui génèrent quotidiennement des montagnes de déchets. À nous de penser plutôt que consommer.

Commun — Individuel

Laurence Piaget-Dubuis

Face à la peur, l’instinct pousse souvent au repli, au retrait, à adopter des attitudes isolationnistes ou à la fuite. L’humanité est le résultat d’une capacité d’organisation en groupe qui permet des réalisations collectives d’envergure.
Après des décennies d’émancipation du groupe et de quête d’individualisme, nous vivons plus que jamais une époque
où le commun revient en force. Vivre ensemble, partager, coopérer, s’allier pour trouver des solutions face à l’adversité, dépasser les clivages et les discordes pour se rassembler et réussir à vivre ensemble sont des défis essentiels à relever.
Les enjeux climatiques auxquels nous devons faire face représentent l’opportunité de nous regrouper et de faire société. Une opportunité mais surtout une nécessité, pour définir collectivement notre rapport à la propriété individuelle et aux ressources communes qu’il s’agit de partager.
À l’image de plusieurs musiciens qui s’accordent à l’unisson pour créer un ensemble harmonieux, envisageons la collaboration et la coopération pour préfigurer un futur durable et prendre soin du vivant.

Habitable — Inhabitable

Le mot « habitat » appartient au vocabulaire de la botanique et de la zoologie. À la fin du XIXe siècle, il indique d’abord le territoire occupé par une plante à l’état naturel, puis finalement le « milieu » géographique adapté à la vie d’une espèce animale ou végétale. La planète bleue est la seule planète habitable connue. Face aux pressions que nous faisons subir à l’environnement, aux sols, aux écosystèmes, aux ressources naturelles, aux espèces vivantes, l’habitabilité de la Terre est mise à mal.
Les territoires et biotopes se dégradent au fur et à mesure qu’augmente la température de la surface du globe et que les réserves en eau diminuent.
Jusqu’à quand la Terre sera-t-elle habitable? De nombreux indicateurs annoncent une perte d’habitabilité des espaces terrestres : réchauffement, fonte du permafrost, augmentation des événements climatiques extrêmes, érosion, montée des eaux, augmentation de la pollution, raréfaction de l’eau potable, croissance démographique, extinction de la biodiversité et effondrement du vivant. Une difficile cohabitation s’annonce dans des espaces restreints, entre humains mais aussi et surtout avec les autres êtres vivants sur Terre. La fuite n’est pas une option. Les espaces vierges et inoccupés ont déjà largement disparu et fuir vers d’autres planètes est bel et bien une chimère.
Il y a nécessité de s’adapter et de négocier. Négocier une place pour chaque être vivant dans un nouvel équilibre à trouver. L’emprise des surfaces artificialisées sur Terre est en constante augmentation ; une réduction de cette emprise est nécessaire. Réduire les constructions et les surfaces de nos habitats, diminuer l’emprise du bâti et l’expansion des villes, sauvegarder les territoires non bâtis et préserver les sols vivants, c’est préserver la nature et des zones habitables pour le vivant non humain. Protéger les autres formes de vie c’est se protéger nous-même et assurer l’avenir de l’humanité.

Terrestre — Extraterrestre

Laurence Piaget-Dubuis

Vers l’infini et au-delà! Le dépassement des limites, extraordinaire moteur d’innovation, a mené l’humanité à de grandes conquêtes comme celle de l’espace, symbolisée par les premiers pas de l’homme sur la lune en 1969. Les astronautes de retour de l’espace en témoignent: nous ne sommes qu’un grain de poussière dans l’univers.
L’humanité est à la fois maîtresse du monde et perdue dans l’univers à la recherche de réponses sur l’origine de la vie ou en quête de formes de vie extraterrestre. Cependant, la Terre est la seule planète habitable qui réunit les conditions indispensables à la vie, comme l’air et l’eau. Il faut en prendre soin. Essayons de mieux habiter la Terre avant de rêver à coloniser d’autres planètes!
Agir pour le vivant en préservant la biodiversité doit rester notre première ambition, car la diversité des écosystèmes et des espèces assure la survie de tous les êtres vivants sur la planète, y compris les humains. Il serait bon d’abandonner nombre de croyances dont l’idée que la technologie sauvera l’humanité. Agir à la source et modifier notre mode de vie, privilégier les technologies simples d’usage et à faible impact environnemental et faire preuve de sobriété dans les solutions recherchées sont les voies à privilégier vers la reconnexion et la réconciliation avec l’environnement. Nous sommes la nature et faisons partie d’un système vivant plus large et interconnecté.
Le climat change… et vous?

Table des négociations

Laurence Piaget-Dubuis et Hervé Savioz

Au fil du parcours le duo convie le public à pénétrer au centre de l’installation, autour d’une table ronde, symbole et archétype de la convivialité, du partage et du dialogue. Cette « table des négociations » est composée de deux disques pivotants sur un axe central. Le disque extérieur illustre l’occupation du sol terrestre. Le disque intérieur représente la totalité de la biomasse connue, soit le poids des espèces vivantes humaines et non humaines présentes sur la Terre. Le public est invité à faire pivoter les deux disques pour interroger la place que nous occupons parmi les autres règnes du vivant. La rotation des disques reconfigure à chaque fois la position de l’humanité – espèce dominante sur les autres formes de vie sur terre – et sur les impacts et traces que nous imprimons sur la surface terrestre à l’heure de l’anthropocène (époque géologique actuelle dans laquelle l’être humain constitue la principale force géologique sur terre).
La négociation se définit comme l’art de s’accorder avec autrui. Elle suppose la rencontre d’intérêts divergents. Elle met en tension volonté de coopération et rapports de force, manifestant la complexité des mécanismes qui président à toute prise de décision collective, à toute formulation d’un « nous ». Prendre le chemin des négociations est plus difficile que fuir la table des négociations, que le repli ou la nostalgie d’un passé révolu.

Laurence Piaget-Dubuis et Hervé Savioz



Négocions! Avec les animaux, avec les animés, les humains et non-humains, les végétaux et tous les êtres qui ne sont pas dotés de parole, mais auxquels il faut donner une voix et qui veulent faire valoir leurs droits.

Partageons! Les biens communs, les territoires habitables, les espaces de vie, les espaces habitables et habités.

Les valeurs, écriture d’un récit commun

Laurence Piaget-Dubuis et Hervé Savio

Dans la pièce centrale, autour de la table des négociations, 273 valeurs sont affichées sur les parois. Le public est invité à se saisir d’une ou plusieurs de ces valeurs pour composer une phrase qui exprime un souhait pour une planète habitable. Les phrases inscrites sur des cartes en papier sont affichées sur le mur en sortant de l’exposition. Elles composent un récit commun et co-écrit, une vision collective qui dessine un futur enviable et désiré, d’une société inclusive et d’un environnement où cohabite la diversité du vivant.

Voir et revoir

EXPO
29/06 — 30/12/2022
ADAPTABILIS, Laurence Piaget-Dubuis et Hervé Savioz (duo), installation photographique, L’îlot-S  –  CAUE de Haute-Savoie, Annecy, F. ➔ En savoir +

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Guide de visite
Flyer
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