03/24
Texte, photographies et cartographie, Laurence Piaget-Dubuis, projet d’observation réalisé avec un compact à focal fixe 23mm. Documentation et présentation d’une immersion dans la nature immédiate.

Petite enclave urbaine où le sauvage, l’irrégulier, la diversité trouvent un espace de respiration, de pause ou de refuge. Les êtres vivants humain et non-humain se croisent, se côtoient, s’évitent ou cohabitent dans une déclinaison bigarrée de la solidarité.

Fanzine

DÉFINITION

Marges:
Écart entre une limite (espace, temps, quantité) absolue et une autre qu’on se donne pour disposer d’un délai, d’une quantité supplémentaire. Marge de sécurité. Marge d’erreur. Temps, espace, quantité, latitude, liberté, suffisamment grands pour rendre quelque chose plus facile, moins contraignant.

MARGES D’UN JARDIN

Petite enclave urbaine où le sauvage, l’irrégulier, la diversité trouvent un espace de respiration, de pause ou de refuge. Les êtres vivants humain et non-humain se croisent, se côtoient, s’évitent ou cohabitent dans une déclinaison bigarrée de la solidarité.

HIVER
Lieu ouvert au monde, à la différence, à l’inconforme, à l’ailleurs. Tour à tour, espace collectif qui se partage et espace individuel qui se morcelle. Dans un double mouvement : inspiration et expiration, accueil et envol, forteresse ou canot de sauvetage, les usages du lieu sont multiples et sujets aux interprétations et représentations collectives et personnelles.

Sous un air désorganisé, ce jardin questionne l’ordre établi, il va à l’encontre d’une certaine maîtrise helvétique au cordeau. Une question se murmure dans le quartier: qui entretient cet espace? Personne et tout le monde? Un flou que certain.e.s nomment: marge… La liberté s’arrête-t-elle là où commence celle des autres?
L’espace jadis verdoyant et en friche sauvage, s’est dépeuplé avec le froid installé. L’hiver révèle une forme de chaos, les matériaux abandonnés, jonchent le sol, les objets s’enlisent dans l’attente du réveil du printemps.

Le temps de croissance et de production du végétal est en veille. La nature se repose, les plans cultivés dans le potager se dessèchent et se fanent. Quelques points orangés demeurent ici et là. Les buissons ardents et les courges pour soleil de l’automne, dévorées goulûment par de mystérieux becs et bouches qui ne sont pas parties vers un ailleurs.
La pourriture, la décomposition, l’oxydation de l’automne décharnent les plans. Bientôt, un manteau de neige décline le paysage en noir et blanc, vision binaire qui s’inscrit dans la ronde des saisons.

Le vivant se suit à la trace, il déambule librement dans l’enclave au moindre rayon de lumière. Les poules et le chat en recherche de nourriture, adoptent des stratégies différentes; la mobilité permanente pour les unes et l’immobilité devant le compost pour l’autre. Des animaux sont aux abonnés absents, le hérisson, la chauve-souris sont des mammifères qui hibernent en hiver.

Les barrières, les haies, les murets, les portails, les serrures, les cadenas délimitent les espaces, définissent une propriété. Vélo, voiture, potager, arbre, maison, boîte aux lettres, cabane questionnent matériellement une organisation silencieuse et organique qui adopte un rythme qui lui est propre. Les couvertures plastique ou neigeuse protègent du froid, des mauvaises herbes ou du piétinement. Les arbres avec leur grande coiffe en forme de dôme, offrent un abri gratuit au sol et sur leurs branches.
Les restes alimentaires qui choient dans le compost, sont nombreux et révèlent que malgré une forme de précarité, les habitant∙es sont nourri∙es. La signature de l’industrialisation est toutefois partout, le plastique balise une forme de négligence, d’envahissement de l’emballage et du déchet. L’humain minimalise son empreinte dans la nature.

Un hôtel à insectes, un banc pour les humains, un bassin pour les oiseaux, un espace pour un foyer, une poubelle et une signalétique pourraient compléter ce rendez-vous avec la vie. Une fête du printemps, des travaux collectifs et une charte de valeurs seraient de bons compléments au respect et à l’égard des uns pour les autres. Vive la marge et la négociation qui la préserve. Cet espace dédié à la rencontre est une forme d’espérance bienvenue.

PRINTEMPS
De nouveaux résident∙es vont habiter la maison. Une personne qui vit en camion durant l’année, pour y passer quelques semaines entre quatre murs au chaud, et des lapins adultes qui ont besoin d’un lieu de vie plus vaste à l’extérieur. La maison vit des mouvements saisonniers métaphoriques de la migration animale. Les allers et venues des uns et des autres rythment le quotidien autour de la préparation de mets aux odeurs épicées, du café torréfié sur la braise ou du pot-au-feu de légumes en action.

L. est le trait d’union logistique entre la nouvelle locatrice et «la maison» (nous devons donner notre accord de principe pour les nouvelles personnes) et J-M. organise l’installation des lapins qui devront cohabiter avec les poules. Malgré les espèces différentes, il y a des similitudes entre les deux situations. Les êtres vivants sont mobiles et tributaires du climat. Tous deux ont besoin d’un espace qui s’adapte à ses besoins essentiels pour y résider.

Il semble également qu’une tierce personne soit nécessaire à l’accueil au sein d’une communauté existante. Cela peut se concrétiser de multiples manières; par de l’écoute, un accord, un sourire, une médiation, un repas, ou de la logistique.
Un matin, par ma fenêtre du 3e, je découvre deux hommes accroupis, d’un côté et de l’autre de la brouette, des cailloux de taille moyenne en mains. Ils palabrent des aléas de la vie au milieu du jardin. Je m’en approche pour faire quelques photos et me fais expliquer par l’un d’eux qu’ils démontent quelques lignes de pierres empilées au sol par la population du jardin pour délimiter les 18 parcelles qui divisent l’espace.

Le nouvel enclos des lapins sera équipé d’un grillage renforcé au sol par une tranchée emplie des fameux cailloux récupérés, ce qui évitera les évasions par tunnel. Interpellée, je lui réponds que les lignes de pierres, dans cet espace collectif et solidaire, sont comme des frontières. Plusieurs nationalités s’y côtoient.
Jusqu’aux parcelles des potagers, la limite du dedans et du dehors, de soi et des autres, du maîtrisé et de l’organique, de l’individu et du commun, demeure. On démonte les frontières pour construire d’autres limites, qui distingueront le domestiqué du sauvage.

Savez-vous d’où proviennent les fameux cailloux? À l’origine, ils sont les remblais non désirés des constructions de villas et d’immeubles alentours. La terre qui constitue le potager en est remplie et des tas de pierres accueillent les cailloux extraits année après année des cultures.

Mon admiration pour cet endroit du quartier en est renforcée. Ce lieu, qui semble au regard si désorganisé, est une forme de résistance à l’urbanisation du territoire.
Une question demeure en mon esprit: pourquoi le jardin est-il cultivé de manière individuelle et ce morcellement nécessaire? Une gestion collective ne serait-elle pas plus efficiente? Je crois me souvenir que l’arrosage a déjà bénéficié de cette réflexion pour éviter le gaspillage de la ressource. Une piste à étendre à l’avenir?
Affaire à suivre…

LOCALISATION

46.09372, 7.06707

RESSOURCES POUR ALLER PLUS LOIN
Les animaux
Des animaux dans les zones habitées?, Nos voisins sauvages
Un jardin naturel, un paradis pour les hôtes les plus variés, Pro Natura

Le potager
Guide du potage, République et Canton de Genève

Les déchets
Le guide de recyclage, Migros
Les déchets et le recyclage en Suisse, Swiss recycle
Déchetterie, Martigny

GALERIE